À l'origine de la confiserie/ 2 : La confiserie dans l’Occident chrétien

L’art de la confiserie, nous l’avons vu dans la première partie, s’est développé à Bagdad et en Al-Andalus à partir de l’héritage grec et romain. Cette culture des sucreries s’introduit dans l’Europe chrétienne à partir du 13e siècle et connaît un succès retentissant parmi les élites...

Un ouvrage fondateur l’Antidotarium Mesuae

L’Occident chrétien reçoit les formules des confiseries arabes grâce au gigantesque travail de traduction de la littérature médicale musulmane réalisé en Italie et en Espagne dès le 11e siècle. La redécouverte de la médecine grecque via l’héritage arabe est à l’origine du renouveau et de la revalorisation de la discipline en Europe, ainsi que de son introduction dans les universités. Parmi les traités pharmaceutiques inspirés par les grabadins, l’Antidotarium Mesuae, d’un inconnu caché sous le pseudonyme de Mésué1, dévoile les bases de la confiserie occidentale. L’ouvrage est probablement italien et date du 13e siècle. L’auteur manifeste un intérêt particulier pour Avicenne et l’ « anonyme andalou »2 à qui il emprunte diverses recettes de confiseries.

Repris sous le nom d’électuaire, on y retrouve les gawarisnat de l’ « anonyme andalou » sous forme de berlingots ou de fondants à la menthe, au clou de girofle et au musc. Les électuaires aux amandes et aux pignons maghrébo-andalous3 sont eux aussi présents, à ceci près que le sucre y remplace le miel.

Le Pseudo-Mésué s’intéresse également aux fruits confits, comme les zestes de citron confits, dont il emprunte la technique à Avicenne. Il classe logiquement les nougats, les massepains et les guimauves parmi les lochs, traduction des la’uqat arabes. Enfin, ses juleb4, mellites5 et robs6, rappellent ceux du manuscrit anonyme7.

Les livres de confiserie

À l’instar de ce qui s’est passé dans le monde arabe, les recettes de confiserie passent de la pharmacopée aux livres de cuisine. Les formules aux fruits secs, aux zestes d’orange, aux fleurs ou aux coings sont reprises dans le Mesnagier de Paris et le Libro per cuoco du 14e siècle, où on rencontre aussi bien le sucre que le miel.

Au 15e siècle, la confiserie s’émancipe davantage de la pharmacopée et fait désormais l’objet d’un genre littéraire spécifique. Le premier livre de confiserie européen, le Libre de totes manieres de confits, paraît en Catalogne au 15e siècle8.

Au 16e siècle, en France, les livres de confiture lui emboîtent le pas. Le premier d'entre eux paraît à Paris en 1545 sous le titre Petit traicté contenant la manière pour faire toutes confitures, compostes, vins saulges, muscadetz & autres breuvages, parfunctz savons, muscadz, pouldres, moutardes, & plusieurs autres bonnes recettes. Il se base sur un manuscrit de la fin du 15e siècle qui sera publié sous les titres Manière de faire toutes confitures (1558) et Pratique de faire toutes confitures (1590). Entretemps, le célèbre astronome et apothicaire Nostradamus a publié l’Excellent et Moult utile opuscule à Lyon (1555).

Nostradamus1Contrairement à ce qu’on lit parfois, Nostradamus n’est pas le premier auteur européen à donner la recette de fruits confits.
Il est tout de même parmi les premiers à éditer un livre de confiseries, l’Excellent et Moult utile opuscule (1555).

Ces œuvres, héritières à la fois des livres d’économie domestique et des secrets, conservent un aspect hétéroclite. Elles reprennent des recettes de pommades, de savonnettes, de parfums ou de remèdes contre la peste qui côtoient les boissons digestives, les confits au vinaigre et au sel, tout comme des préparations au sucre et au miel. Ces dernières comprennent les confitures et les marmelades, les fruits confits, les dragées de graines aromatiques et d’autres friandises servies d’ordinaire au dernier service du repas, à l’Yssue de table9.

Parmi ces douceurs, les fruits et les légumes confits héritiers des murrabayat arabes tiennent le premier rang dans l’Occident chrétien. Dans l’œuvre de Nostradamus, on en trouve de nombreuses formules à base de zeste de citron et d’orange, de gourde, de noix, de laitue, de cerise, de gingembre, d’amande, de petits limon et orange, de coing, d’écorce de bourrache, de poire et de panicaut10.

Bien entendu, les douceurs de la famille arabe des la’uqat tiennent également le devant de la scène. La friandise composée de poudre d’amande, de sucre et d’eau de rose porte désormais le nom de massepain, mot d’origine incertaine. Le nougat de pignon, quant à lui, est présenté sous le nom de Pignolat. On y trouve encore le Sirop rosat11, des gelées de cerise et de coing, du cotignac, l’antique defrutum qui ne fait pas allusion aux robs arabes, ainsi que le pénide d’Abulcassis12.

Un peu plus tard, en 1604, dans l’Ouverture de cuisine du Liégeois Lancelot de Casteau13, les recettes de confiseries sont bien présentes. Le massepain et les nougats aux pignons de pin ou aux pistaches paraissent avoir fait les délices des princes-évêques, tout comme le pastillage14 à la cannelle, à la poudre d’orange ou au musc. On y rencontre également une recette de biscuit d’origine italienne, la moustacholle. Composé de farine, d’œuf, d’amandes en poudre, de sucre, de cannelle, de clou de girofle, de noix de muscade et d’eau de rose, il s’agit probablement de l’ancêtre de nos spéculoos.




1 Pseudonyme emprunté au nom du médecin arabe Yuhanna Ibn Masawayh (777-857).
2 Voir première partie.
3 Classés parmi les ma’agin de l’anonyme andalou.
4 Sirop aromatisé à base d’eau et de sucre.
5 Sirop aromatisé à base d’eau et de miel.
6 Jus de fruit concentrés remontant au defrutum antique, à base de coing ou de grenade.
7 Liliane Plouvier, Le rôle d’al-andalus dans la transmission des connaissances de l’Orient vers l’Occident, l’exemple de la confiserie, Manger au Maghreb, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2006, p. 42,43.
8 Idem, p. 43.
9 Philip et Mary Hyman, Les livres de cuisine imprimés en France, Livres en bouche, Cinq siècles d’art culinaire en Français, Paris, Hermann, 2001, p. 59.
10 Un substitut autochtone de gingembre.
11 Un sirop parfumé à la rose.
12 Michel de Nostradamus, Excellent & moult utile opuscule à touts necessaire, Lyon, Antoine Volant, 1556.
13 Maître queux des princes-évêques de Liège.
14 Mélange de sucre impalpable et de gomme adragante modelés en formes diverses.

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